Escale historique
LE CHANTIER Zoom sur le passé moderniste de l’aéroport international de Gander, désormais accessible aux non-voyageurs.
Par: Gabrielle Drolet
Illustration Par: Jason Logan
« J’ai envie de me mettre à la course à pied. »
Norah était assise en face de moi sur le balcon. La soirée était fraîche, notre conversation entrecoupée par les cris lointains des fêtards de la Saint-Patrick. Je venais d’emménager à Montréal.
« Moi aussi », lui répondis-je. Un mensonge en réalité, mais sans méchanceté, un de ceux qu’on dit pour essayer de se faire des amis. « On pourrait courir ensemble? » Elle hocha la tête en souriant : « Avec plaisir! »
En buvant une gorgée de bière irlandaise, je me rappelais les fois où j’avais tenté de courir. C’était à tous les coups pareil : je passais des jours à me motiver puis, rouge et essoufflée au bout de quelques minutes, j’abandonnais. Je concluais toujours ce rituel en me disant que la course n’était pas faite pour moi. Sur le balcon, les mains engourdies par le froid, je décidais de retenter ma chance.
Inquiète à l’idée de ne pouvoir suivre Norah, je téléchargeais une appli de course et commençais seule dès le lendemain, histoire de voir de quoi j’étais capable. Alors que, déjà à bout de souffle, je tâchais d’accélérer, la voix dans les écouteurs m’en dissuada.
Ce n’est pas une compétition, me dit-elle. Et même si c’en était une, il faut modérer son allure.
Je m’appliquais donc à ralentir jusqu’à ce que je me sente bien, que courir devienne presque facile. Je commençais à regarder autour de moi : les murales auxquelles je n’avais jamais prêté attention, les écureuils dans le parc, l’homme qui jetait des roches dans la fontaine. Et soudain, ma douleur s’envola… pour un temps du moins.
Un an et demi auparavant, je m’étais abîmé un nerf : cette inflammation, devenue chronique, me causait une douleur constante dans tout le haut du corps. Elle m’empêchait quasi toute forme d’exercice et me privait de mes activités préférées. Aujourd’hui, je reprenais le contrôle, une sensation oubliée depuis des mois.
À la fin de mon parcours, au lieu de m’autoflageller pour le temps mis à trottiner autour de mon appartement, j’étais fière d’avoir couru et impatiente à l’idée d’aller plus vite la prochaine fois.
Depuis, je cours. Avec des amis parfois, seule la plupart du temps. Même si j’ai augmenté la cadence, certains jours restent difficiles. J’ai appris à les aimer : courir est un réconfort purement fortuit, un bref moment durant lequel cette personne atteinte d’une maladie chronique, qui lutte chaque jour pour emboîter le pas au monde qui l’entoure, peut enfin vivre à son rythme.