Une architecture dans l’air du temps
L’intérieur Par son approche multidisciplinaire et humanisante, Patriarche conçoit des espaces contemporains centrés sur l’usage.
Par: Andrew Waterman
La démesure qui caractérise la salle d’embarquement de l’aéroport de Gander a de quoi surprendre : la ville du même nom, située quelque part entre St. John’s et Corner Brook à Terre-Neuve, compte moins de 12 000 habitants.
Depuis les années 1970, ces derniers ne peuvent admirer l’élégant mobilier et l’imposante fresque de Kenneth Lochhead, peinte à la détrempe à l’œuf sur 22 mètres de long et intitulée Flight and Its Allegories, qu’à travers un panneau vitré. Visible, mais inaccessible.
En juin dernier, après deux ans et demi de réaménagement, restauration et remise à neuf, la salle d’embarquement des vols internationaux ouvre enfin ses portes au grand public.
« Gander est le trou perdu le plus cosmopolite du monde », lance en souriant Reg Wright, PDG de Gander International Airport Authority.
C’est en 1938 que l’aéroport voit atterrir son premier avion. En raison de sa situation géographique, il devient vite le principal site d’escale des appareils alliés à destination de l’Europe pendant la Seconde Guerre mondiale. Il se transforme également en point de ravitaillement en carburant pour le trafic transocéanique, nécessitant en 1959 la construction d’un nouveau terminal de 3 millions de dollars. À cette époque, il fait partie des aéroports internationaux les plus fréquentés.
Au début des années 1960, l’avion à réaction envahit le ciel : les arrêts à Gander étant dorénavant superflus, il perd de sa superbe mais en garde une salle d’embarquement de première classe. (En 2011, la ville et l’aéroport reviendront tous deux dans l’actualité en recevant les avions déroutés, et leurs passagers, après les attentats terroristes du 11 septembre. Cet accueil chaleureux a d’ailleurs inspiré la comédie musicale à succès Come From Away.)
Cela fait longtemps que la rénovation du hall des départs et de sa mezzanine, célèbre pour sa fresque, son sol en terrazzo à la Mondrian et ses meubles modernistes signés en majorité par des designers canadiens, alimente les conversations locales. « On avait envie de le sortir du néant », explique Reg Wright. D’où des travaux de 1,5 million de dollars et une plus grande accessibilité : les voyageurs internationaux ne sont plus les seuls à pouvoir en profiter.
« Dans l’ensemble, le projet a été très bien reçu, la critique est positive. Et toute une nouvelle génération découvre ce lieu » he says.
On y trouve aujourd’hui un musée, qui raconte l’histoire de l’aérogare et des nombreuses têtes couronnées et célébrités qui y ont fait escale, ainsi qu’une boutique de souvenirs, une salle de conférence et un espace d’exposition, tous trois imaginés et aménagés par l’artiste locale Jessica Waterman. À cela s’ajoute un bar flambant neuf.
« Le bar qui datait des années 1980 était tout sauf pratique, explique Garrett Watton, directeur de l’entretien des bâtiments. Les vieux box en plastique couleur rose fuchsia et bleu sarcelle étaient horribles. » Habillés de jaune et d’orange brûlés, ils rappellent à présent l’âge d’or de l’aéroport. Juste à côté, la boutique de souvenirs sert de passerelle à la salle d’embarquement.
Entièrement conçue par Jessica Waterman, elle porte sa signature d’ébéniste : des lignes aussi brutes que nettes et des nuances aussi délicates qu’éclatantes. L’espace expo, qu’elle a également réalisé, sert, quant à lui, de toile de fond à une série de portraits pris par le photographe allemand Alexander Spraetz.
Dans la salle de conférence, le papier peint au motif de l’enseigne originale de l’aéroport, dessiné par l’artiste, côtoie Birds of Welcome, une sculpture en bronze d’Arthur Price, et des réinterprétations du mobilier d’époque.
« Le fait que cet endroit soit une sorte de capsule témoin pèse sur l’artiste, qui doit y apporter sa touche sans s’imposer », ajoute le PDG. Jessica Waterman nous confie avoir quelque peu paniqué : « La pièce est difficile à aménager à cause de toutes les couleurs qui se font concurrence. Grâce à la peinture bleue et à un comptoir en marbre, qui se marient bien avec le reste, on a pu imaginer un nouveau bar qui semble dater de 1959. »
Au début, Reg Wright n’était pas sûr d’avoir fait les bons choix et s’inquiétait de l’opinion publique. Il se demandait s’il pouvait changer le moindre détail sans être critiqué en bien ou en mal. Le voilà rassuré : « Dans l’ensemble, le projet a été très bien reçu, la critique est positive. Et toute une nouvelle génération découvre ce lieu », conclut-il. Depuis son ouverture au public, 300 visiteurs par jour se laissent transporter par ce petit bijou de l’art moderne canadien.