Un monde caché
La Conversation On discute champignons et épanouissement mutuel avec deux écrivaines
par: Ximena González
PHOTOS OFFERTES PAR UNBUILDERS
À l’été 2022, trois bâtiments patrimoniaux du centre-ville de Victoria se sont vu déclasser de manière inhabituelle. Adam Corneil, fondateur de Unbuilders, et son équipe les ont déconstruits, et non démolis. En détournant plus de 300 000 pieds-planches de bois du centre d’enfouissement, ils ont libéré l’espace pour un projet immobilier flambant neuf tout en compensant une partie de son empreinte carbone à venir.
Déconstruire pour bâtir un avenir plus durable, telle est la mission que s’est donnée Unbuilders. Basée à Vancouver depuis 2018, elle vend ou donne les matériaux des immeubles qu’elle démantèle en Colombie-Britannique. « Notre but est de maximiser la valeur de récupération et de minimiser les déchets. Et ce, de manière efficace et rentable », explique Adam Corneil.
Au Canada, le secteur de la démolition représente 12 % des déchets solides produits. Pourtant tout ne devrait pas finir à la décharge. « Il n’existe pas un chantier sans récupération », ajoute-t-il, notant qu’éviers, armoires, fenêtres et revêtements de sol sont bien souvent partants pour une seconde vie.
Généralement, les entreprises de démolition récupèrent les grosses poutres mais, soumises à des contraintes de temps, elles ne font qu’effleurer la surface, poursuit-il. « Elles ne prennent que 5 à 10 % de ce que nous pourrions retirer du même immeuble. »
Quand Salient Group, un promoteur primé, lui a proposé de déconstruire trois immeubles patrimoniaux dans la rue Fort, Adam Corneil a sauté sur l’occasion. « C’était intéressant, car ils étaient tous de construction très différente. »
Une première évaluation des composantes de chaque bâtiment a permis de repérer les matières dangereuses, tels l’amiante ou le plomb. « Il y avait des choses vraiment bizarres : l’immeuble du milieu, haut de quatre étages, avait des murs en béton sur les côtés et en brique à l’avant et à l’arrière. Et on avait utilisé une espèce de goudron d’amiante, qui avait coulé le long du béton sur tous les étages. »
Un mois plus tard, après avoir géré ce fâcheux contretemps, l’équipe d’Unbuilders était prête à attaquer la déconstruction.
Elle a commencé par retirer les cloisons sèches, les installations électriques, la plomberie et les revêtements de sol. Puis tous les éléments structurels, comme la toiture, les colonnes et les poutres. Plus vite dit que fait.
« C’était extrêmement complexe, très technique, poursuit Adam Corneil. Les immeubles latéraux, datant de 1908, étaient des structures à plancher de bois avec des briques tout autour, qu’on a dû enlever en grande partie à la main. »
Sans compter que leurs façades à architecture édouardienne devaient être préservées. La récupération des matériaux se faisant en tandem avec la démolition des murs de béton, il fallait trouver un moyen de maintenir l’intégrité structurelle du bâtiment central tout en le démantelant.
« On a consolidé l’ensemble de l’immeuble, un peu comme si on allait couler du béton », raconte-t-il. Une fois la structure extérieure sécurisée, une mini-excavatrice a été hissée au dernier étage, d’où elle a entamé sa descente jusqu’au rez-de-chaussée, retirant avec précaution la charpente de bois de chaque étage sur son passage.
Tous les matériaux récupérés ont été soit vendus, soit donnés localement. Les briques ont été envoyées au recyclage, le précieux bois d’œuvre expédié à un fabricant d’objets en écobois au Montana.
Mais déconstruire un bâtiment en veillant à ce que ses divers éléments soient réutilisables ne représente que la moitié du défi. Il faut également susciter l’intérêt du consommateur pour ces matériaux de récupération.
Et ce n’est pas une mince affaire. Les propriétaires ont tendance à préférer le neuf, perçu comme plus durable et plus rentable. Pourtant, de plus en plus de gens prennent aujourd’hui conscience des ressources limitées de notre planète, ce qui donne de l’espoir à Adam Corneil.
« Jeter et reconstruire du neuf, c’est simplement meilleur marché. Mais cette époque tire à sa fin. On réalise que l’économie circulaire, c’est l’économie de demain. On doit repenser l’ensemble de notre fonctionnement en tant que société. »