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Un monde caché

« [Les champignons] font écho à mes réflexions sur l’adaptation et la résilience aux changements environnementaux. »

PAR: DIANE BORSATO AND JANALYN GUO

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Collage de Diane Borsato (2022) à partir des illustrations de Kelsey Oseid, tirées du livre Mushrooming: The Joy of the Quiet Hunt.

Et si on parlait champignons? Élus aliments de l’année 2022 par le New York Times, ils sont toujours tendance en 2023 d’après le Mushroom Council, une organisation américaine de producteurs de champignons. Diane Borsato, artiste et autrice de Mushrooming: The Joy of the Quiet Hunt, et Janalyn Guo, autrice de Our Colony Beyond the City of Ruins, discutent de l’amour-haine qu’on porte à ces fongus et du regard réflexif qu’ils nous invitent à porter sur la nature.

Janalyn Guo : Diane, votre livre est un guide illustré des champignons, mais c’est aussi une manière de regarder le monde. Diriez-vous la même chose?

Diane Borsato : En fait, c’est un guide pratique qui sort des sentiers battus. Écrit par une artiste et non une botaniste, il prend racine dans la culture populaire et l’art contemporain. On y parle champignons, nature, sol, mais aussi mort et décomposition, fées et démons, aphrodisiaques et beauté. C’est une histoire d’amour avec les champignons. J’ai beaucoup appris en me promenant dans la forêt pour les observer. Cette « quiet hunt », ou chasse en silence, m’a permis de regarder la vie de plus près.

J. G. : C’est génial de répertorier toutes les variétés colorées qu’on croise en chemin. Les champignons se faufilent aussi dans mon travail à leur façon, peut-être parce qu’ils font écho à mes réflexions sur l’adaptation et la résilience face aux changements environnementaux, sur la communication, la connectivité, le déclin.

D. B. : Un thème semble récurrent dans vos écrits : une nature invasive avec des champignons, ou des arbres, qui poussent à l’intérieur ou à l’extérieur de nous.

J. G. : Dans une de mes nouvelles, une femme qui se porte volontaire pour faire pousser un arbre dans son corps peut alors entrer en communication directe avec le Mégafongus, une masse fongique qui revendique le titre de plus grosse espèce unicellulaire de la Terre.
L’étrange et le mystérieux m’attirent. On en sait si peu sur les champignons,
par rapport aux plantes ou aux animaux, qu’ils me fascinent.

D. B. : Elle se porte volontaire pour faire pousser un arbre dans son corps… J’aime l’image : elle est à la fois belle et violente, une union interespèces à la limite de l’imaginable. Mais pourquoi les champignons jouent-ils les infâmes? Les redoutez-vous à ce point?

J. G. : Je crois qu’ils nous hantent. On en sait si peu qu’on cherche à combler les vides. Ils s’enchevêtrent dans nos espoirs, nos craintes, nos angoisses collectives. Certains disent que les champignons vont éradiquer le cancer et sauver le monde. D’autres, comme ces livres et films d’horreur, tels que The Beauty d’Aliya Whiteley, Paradise Rot de Jenny Hval ou Matango, mettent en scène des champignons qui nous subsument, nous changent de façon inimaginable et hors de tout contrôle.
En fait, ça ne me dérangerait pas d’être subsumée dans une entité fongique si cela était d’une quelconque utilité!

D. B. : L’image est frappante! Pour ma part, je crois que je préfèrerais les subsumer, en les faisant sauter un poêlon par exemple. Mais vous avez raison, les champignons restent une énigme : ils apparaissent comme par magie, poussent dans l’obscurité, ne contiennent pas de chlorophylle, ne se comportent pas comme les plantes. Ils peuvent provoquer des hallucinations, des empoisonnements et une mort douloureuse. Ils sont source de terreur et de fascination, on les craint et on les apprécie, on les aime et on les déteste, parfois pour les mêmes raisons.

J. G. : Tout à fait. Il devrait y avoir des dégustations de champignons, comme pour le vin, le café ou le chocolat. On y parlerait de leur terroir et de leur longueur en bouche.

D. B. : Quelle bonne idée! Ils sont trop souvent décrits comme « terreux », alors que, à l’instar des fromages, les champignons ont toute une palette de saveurs. Certains ont des notes florales, d’autres d’abricot ou de cannelle.

J. G. : Je me demande si le fait de regarder les choses de plus près a eu une influence sur votre travail… Ou l’avez-vous toujours fait?

D. B. : En tant qu’artiste visuelle, j’ai l’habitude de regarder les choses de près. Chercher des champignons dans le bois était un excellent exercice. Leur identification fait appel à tous les sens : le toucher, l’odorat, le goût, mais surtout la vue. Il faut d’abord les repérer, camouflés entre les feuilles, puis ajuster son œil pour discerner les subtiles variations de couleur, de stries, de luminosité… J’amène d’ailleurs mes étudiants en art dans la forêt, à la découverte de ce monde caché.

J. G. : Je comprends, je me suis lancée dans la chasse aux minéraux dans le désert. Ça prend une éternité pour trouver la première pierre, mais après, une fois que l’œil sait ce qu’il cherche, qu’il a mémorisé l’éclat si particulier des cristaux, il en voit partout.

D. B. : Ce type d’attention portée à notre environnement immédiat nourrit notre réflexion d’artiste. Il nous permet de comprendre certaines idées fondamentales de notre époque, ce que la biologiste Robin Wall Kimmerer de la nation des Potéouatamis décrit comme l’urgence d’exprimer de la gratitude, de vivre en réciprocité avec les autres êtres vivants car notre épanouissement est mutuel.

J. G. : La santé humaine et notre bien-être collectif sont étroitement liés à la santé de la nature. Je raconte des histoires d’arbres qui poussent à l’intérieur de nous pour souligner à quel point nous sommes liés justement.

D. B. : Partir à plusieurs en forêt à la cueillette de champignons en fait une expérience collective. Si on est attentifs, on peut être témoins des effets de la violence coloniale et environnementale sur le sol et le climat, de l’incroyable diversité des êtres vivants, de leur extraordinaire et de la complexité de notre interdépendance. Ce vécu et ce savoir sont indispensables à l’écoart contemporain.
Pensez-vous que les écrivains et artistes peuvent peser sur les décisions concernant l’avenir de l’environnement?

J. G. : Les scientifiques et les militants y travaillent fort. Ce qu’ils font est difficile et souvent peu apprécié. Je ne prétends pas comprendre la dynamique complexe d’un écosystème, je n’interagis pas avec les gens ni ne les mobilise, mais je crois que nous, les artistes, participons au débat à notre manière. Je pense que nous sommes inspirants et peut-être un peu dissimulateurs. Nous pouvons réellement surprendre notre monde en lui faisant admettre une vérité à son sujet quand il s’y attend le moins. C’est cela qui nous distingue.

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