Starting Block - Les 10 ans de Block
BLOCK DE DÉPART Si vous êtes un·e fidèle lecteur·trice de Block, premièrement, merci, et deuxièmement, vous avez dû remarquer que ce numéro est quelque peu différent.
Par : Mélanie Ritchot
Photo Par : Luis Mora
Cet après-midi d’août, c’est la carbonisation d’un noyau de pêche qui est au programme de Jason Logan. À venir : recherche de rouille dans les rues de Toronto et cueillette de noix de noyer noir.
Cet illustrateur, graphiste et auteur, connu entre autres pour son étonnante carte des odeurs de New York en été, intitulée « Scents and the City » et parue dans le New York Times, se consacre désormais à la fabrication d’encre.
« Un jour, je me suis demandé ce qu’était l’encre », explique-t-il tout simplement. Il s’intéresse alors aux couleurs naturelles qui se trouvent à sa portée et fait des essais. « On a l’impression que c’est un sujet niche, mais en fait c’est un de nos plus anciens modes de communication. »
Entre ses livres (dont un guide illustré pour se remettre d’une rupture amoureuse et un autre sur l’encre artisanale : Make Ink: A Forager’s Guide to Natural Inkmaking paru en 2018), ses lectures (dont Metazoa, un essai sur les origines de la pensée) et ses illustrations qui se font de plus en plus rares (Block a la chance de continuer à en profiter), il voit un fil conducteur : la recherche du point de rencontre entre l’image et l’idée.
En 2014, Jason Logan fonde son entreprise, The Toronto Ink Company, et envoie des milliers de fioles d’encre à ses artistes préférés en espérant qu’ils en fassent bon usage. Aujourd’hui, peintres, illustrateurs et calligraphes du monde entier s’en servent. Quand ils ont besoin d’une nuance particulière ou d’une encre fabriquée à partir d’un ingrédient précis, ils s’adressent à lui, confie-t-il.
Pour certains, l’attrait de ces encres réside dans leur non-toxicité, pour d’autres, dans leur imprévisibilité : le pH de l’eau entrant dans leur composition ou la récolte de l’année ayant leur rôle à jouer.
« Mon encre a des qualités inattendues quand on la couche sur le papier. C’est un produit vivant », poursuit-il. En effet, la couleur du produit final n’est pas forcément fixée. Il suffit d’ajouter quelques gouttes de jus de citron dans une encre de raisin sauvage pour qu’elle passe du violet au rose ou de la saupoudrer de bicarbonate de soude pour qu’elle vire au vert bleuté.
Cette mutabilité de l’encre, ondulant sous les pinceaux des artistes, s’est répandue sur les écrans grâce à The Colour of Ink, un documentaire réalisé par Brian Johnson et projeté en avant-première au Festival international du film de Toronto en 2022. Il y dévoile la méthode de fabrication de Jason Logan, de la collecte des ingrédients à la sortie d’une fiole de sa boîte d’expédition par un maître calligraphe japonais, en passant par les multiples essais pour trouver la juste teinte. Au travers de prises de vue macro éclatantes, le spectateur redécouvre une chose qui fait partie de son quotidien (mais qu’il a parfois tendance à oublier) : « [On sort du cinéma] avec le sentiment que le monde est rempli de couleur. »
À ses débuts, Jason Logan ne trouve que très peu de manuels de référence. Il doit dépoussiérer des grimoires moyenâgeux ou se perdre dans les dédales d’Internet à la recherche de recettes d’alchimistes : « On fait de l’encre depuis très longtemps, donc c’était un peu caché. »
Son autre source? Les teinturiers. « Quand je teste une nouvelle plante ou une substance insolite, je commence par demander à quelqu’un qui pratique la teinture naturelle pour savoir comment extraire la couleur. Ensuite, c’est du bricolage. »
Son guide sur la fabrication d’encres artisanales est né de ce constat. Tout comme les ateliers qu’il a organisés par la suite : « Quand on m’invitait à parler du livre, ma première réaction était de proposer une sortie pour qu’on fabrique de l’encre ensemble. » Et d’ajouter que son guide a suscité des vocations.
Toujours selon lui, l’encre peut se résumer à trois éléments : un liquide (de l’eau dans la plupart de ses recettes), un pigment et un liant qui, comme son nom l’indique, permet de lier couleur et liquide. « La grande majorité de mes ingrédients sont locaux, des choses que je peux trouver à mes pieds : je vais chercher mon eau moi-même, pareil pour les pigments et les liants. J’utilise notamment de la gomme de cerisier pour ces derniers. »
« Les pigments, eux, sont des clous rouillés, de vieux fils de cuivre ou de la poussière de placoplâtre : toutes ces choses formidables qu’on trouve en ville et qui sont sous-utilisées pour créer de la couleur. Il n’y a pas que les feuilles et les baies! » Il est vrai qu’on associe souvent pigment et nature. Plus il peaufine son savoir-faire, plus l’artisan tente de brouiller les pistes entre l’urbain et le naturel.
« Faire ses couleurs à partir de trucs récupérés dans la rue, c’est presque démocratiser la fabrication d’encre. » C’est aussi lui ajouter une plus-value, conclut-il.