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L’art et sa survie

Artiste visuelle et archiviste, Christina Kudryk a utilisé son talent en réaction aux conflits dans son pays d’origine, l’Ukraine, notamment pendant la révolution de Maïdan en 2014. Oleh Lesiuk, sculpteur et président de l’Association ukrainienne des artistes visuels du Canada, s’inquiète des conséquences des affrontements actuels sur les monuments d’importance culturelle ainsi que sur les villes où ils sont situés. Environ un mois après l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février, les deux artistes ukraino-canadiens, basés à Toronto, se sont entretenus avec Block des impacts de la guerre sur les œuvres d’art et les artistes.ressemblera (et quand) ainsi que des multiples possibilités qui découlent de la représentation, des échanges et de la pensée visionnaire.

Par: Christina Kudryk and Oleh Lesiuk
PHOTO COURTESY OF: Aris Messinis/AFP via Getty Images

L’art et sa survie - russian-monument-protected-sandbags

Christina Kudryk : Mes parents sont arrivés au Canada après la Première Guerre mondiale, mais je suis née en Ukraine. Je suis ukraino-canadienne et artiste visuelle : je peins. J’ai exposé en solo à plusieurs reprises et, d’ailleurs, ma rétrospective a eu lieu au musée national Andrey Sheptytsky à Lviv, situé dans l’ouest de l’Ukraine, aujourd’hui sous les bombes.

Oleh Lesiuk : Quand la guerre a éclaté, on était tous en état de choc, les Ukrainiens comme le reste du monde. Je parle avec des artistes en Ukraine tous les jours. Jusqu’à la veille du 24 février, on pensait tous que Poutine bluffait. Je les ai vus se transformer au fur et à mesure des sirènes, des bombardements, des missiles et de leurs passages dans les bunkers. On en connaît beaucoup qui ont troqué leur pinceau contre un fusil et ont donné leur vie pour l’Ukraine. C’est très difficile aujourd’hui pour les artistes. Je parle par expérience : c’est compliqué de se concentrer sur son art.

Quelques jours après, j’ai eu l’idée de monter l’exposition-bénéfice Artists Stand With Ukraine [Les artistes aux côtés dae l’Ukraine], dont l’ensemble des recettes allait aux forces [armées] ukrainiennes. On l’a organisée très vite, à la KUMF Gallery, mais le nombre d’artistes qui ont donné des œuvres et les ventes ont dépassé nos attentes.

C. K. : L’art est une expression d’une société à un instant précis. C’est aussi une expression personnelle de l’artiste. Les artistes s’expriment différemment en réaction au conflit. Dans Guernica, par exemple, Picasso montre l’horreur de la guerre, et ses actes ignobles, par des lignes anguleuses, des visages déformés et du gris — aucune couleur. Autre exemple : l’artiste allemande Käthe Kollwitz, dont le fils a été tué au front pendant la Première Guerre mondiale. Elle a passé plus de dix ans sur une sculpture représentant la douleur et le désespoir engendrés par la guerre.

J’ai peint quelques tableaux lors de Maïdan, la révolution de la dignité, qui a commencé de façon très pacifique. Il y a eu de nombreux happenings : installations, performances… Un pianiste, qui avait peint son piano en bleu et jaune, a joué devant les soldats. Ça a fini par devenir violent : il y avait des fusillades, des feux, les gens mourraient. Je me suis assise devant la télé et j’ai pleuré, j’ai vraiment pleuré, puis j’ai peint.

« On reconstruira ce qu’on a perdu, mais certaines choses le sont à tout jamais. »

O. L. : J’ai réalisé plusieurs sculptures par le passé qui ont un rapport avec la guerre actuelle. L’une d’elles, intitulée Confrontation, montre de manière abstraite la confrontation entre deux mondes, entre deux nations, entre le bien et le mal. La guerre n’a pas commencé il y a un mois; elle est présente depuis plus de 300 ans, et c’est à cela qu’on répond.

C. K. : Oui, on ne peut s’empêcher de réagir à ce qui arrive, car les artistes expriment leurs sentiments sur ce qui les entoure. Et la situation actuelle nous bouleverse. Ce qui se déroule sous nos yeux est inimaginable. C’est si difficile de représenter ce mal, cette horreur, mais je suis sûre que beaucoup vont y parvenir. Certains utiliseront le symbolisme.

Je veux peindre et je crois que, pour ma part, je vais montrer l’espoir. Je réfléchis à ce que sera l’Ukraine une fois qu’on aura gagné, à la façon dont on va surmonter tout ça. Pas que l’espoir d’ailleurs, la conviction qu’on sera à nouveau un pays libre et fort.

O. L. : Cette guerre est le point culminant du conflit entre la Russie et l’Ukraine. Nous, on est toujours en train de défendre notre paix et de montrer au monde que notre histoire et notre culture sont très anciennes, et qu’on mérite de rester sur la carte.

C. K. : Tant de choses ont été détruites en Ukraine. Les musées, toutes ces œuvres d’art disparues à jamais… Quel effet cela va-t-il avoir sur les collections, je n’en sais rien. J’espère qu’il en restera. Le musée de Lviv, qui possède la plus grande collection d’œuvres ukrainiennes au monde, a plié bagage. Le bâtiment est magnifique, comme les collections, mais aujourd’hui, les murs sont nus : tout est caché au sous-sol ou dans des abris antiaériens datant de la Seconde Guerre mondiale. J’espère qu’on en retrouvera le maximum intact.

O. L. : Oui, on voit qu’ils essaient de protéger les trésors et l’héritage de la culture ukrainienne en Ukraine occidentale, dans des endroits qui n’ont pas encore été frappés. Dans de nombreuses villes, les bénévoles et les artistes mettent en caisse les sculptures qui ne peuvent être déplacées. On a vu aux actualités un monument de Kharkiv protégé par des sacs de sable. C’est très triste à regarder. Quand j’ai quitté l’Ukraine, j’ai laissé des sculptures dans l’espace public : elles y sont encore et je m’inquiète en tant qu’artiste. Je regarde toutes celles qui sont déjà abîmées, déjà détruites, et je suis triste, triste pour les artistes et pour tous ceux et celles forcés d’assister à la destruction de ces trésors.

C. K. : Il n’y a pas que les peintures et les sculptures, il y a aussi l’architecture. Certaines villes ne sont plus que des décombres. Il existe heureusement des plans et des photos, qui seront utiles pour restaurer les bâtiments historiques. On reconstruira ce qu’on a perdu, mais certaines choses le sont à tout jamais.

O. L. : Les maisons, les bâtiments, les musées, on les reconstruira, mais les œuvres d’art sont une perte, et pas que pour l’Ukraine. C’est le monde tout entier qui est en train de perdre ses trésors.

Pour en savoir plus sur l’aide apportée à l’Ukraine par l’Association ukrainienne des artistes visuels du Canada, rendez-vous à kumfgallery.com (en anglais).

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