
111 Robert- Bourassa
Autour de la Cité du multimédia à Montréal
Par: Yaniya Lee
PHOTO PAR: Alana Paterson
Gina Badger est une fée des chaudrons, à la fois pionnière, queer, artiste et herboriste, qui croit en la coexistence de tous les êtres vivants, ou plutôt en la relation constante et réciproque des humains et des plantes. « Et cela commence par la respiration : ce qu’on expire, elles l’inhalent, et ce qu’elles émettent, on l’inhale », explique-t-elle. Pour elle, les plantes sont des médicaments et des enseignantes qui influencent ses valeurs et sa manière de travailler : « On est tous tentés par la facilité, l’instantanéité. L’herboristerie réduit ce désir à néant ou presque. » Son cabinet de Vancouver s’appelle d’ailleurs Long Spell [long enchantement en français] parce que « les changements profonds se font progressivement, lentement, au fil du temps ».
Gina a passé son enfance en Alberta, entourée d’une mère art-thérapeute et passionnée de théâtre et de deux grands-mères, l’une artiste-peintre, l’autre qui lui a appris à reconnaître les plantes lors de leurs promenades en nature. Herbes et fleurs ont fait partie intégrante de sa formation artistique, tant à l’université Concordia de Montréal qu’à l’Institut de technologie du Massachusetts, où ses moyens d’expression n’étaient pas la peinture, l’argile ou les pixels, mais le jardinage, la cuisine, la pédagogie et les arts de la scène. En 2011, dans un projet intitulé Mongrels, elle racontait l’histoire de l’armoise, une plante aux propriétés médicinales. L’année suivante, elle présentait Magical Faggots : une performance au cours de laquelle les interprètes exploraient leurs origines et se réappropriaient ce mot méprisant [faggot signifie homosexuel en argot anglais] en brûlant des fagots de bois.
Elle souhaitait abolir la frontière entre l’art et le public, entre sa pratique et sa personne. L’herboristerie lui a apporté une démarche empreinte de volupté, plus globale qu’anti-intellectuelle. « Volupté est un mot intéressant car on le résume parfois au seul plaisir sexuel, note Randy Lee Cutler, artiste vancouvérois et ami de Gina. Alors qu’en fait, cela concerne tous les sens. »
« Pendant des années, je me suis servie des plantes dans mes créations, mais c’était souvent abstrait ou théorique, ce qui m’empêchait de m’engager de façon intuitive et sensuelle avec la matière »
« On les sent et on les goûte : l’interaction avec le végétal éveille notre appareil sensoriel, nous fait entrer dans notre corps et sortir de notre tête, ce qui est le fondement du fameux ici et maintenant », ajoute Gina. Cela lui permet de jouer les intermédiaires entre la nature et le corps, les plantes et les gens. Ses séances avec ses clients débutent toujours par une conversation sur leur état de santé, qui la guide ensuite dans la préparation d’une formule à base de plantes répondant à leurs besoins. « Soigner se résume à deux qualités : l’attention et la présence, poursuit-elle. Beaucoup d’herboristes, moi y compris, sont très pointilleux sur le moment de la préparation : on cueille en fonction du cycle lunaire par exemple. C’est à la fois créatif, satisfaisant et en lien avec tout ce qui nous entoure, et cela se ressent dans la qualité du remède. »
CI-DESSUS À GAUCHE : la teinturothèque de Gina Badger, servant à l’élaboration de ses formules. CI-DESSUS À DROITE : pour préparer une teinture mère, elle fait macérer une plante fraîche dans de l’alcool pendant deux à six semaines.
Sa pratique est également marquée par une forte conscience sociale et historique. « Parce que je suis un colon d’origine européenne établi sur une terre qu’on appelle aujourd’hui Canada, la reconnaissance du colonialisme est à la base de mon éthique. On ne peut séparer les plantes de la terre et toutes deux ne peuvent être séparées de la culture et du savoir autochtones », explique-t-elle. Depuis ses formations à la Blue Otter School of Herbal Medicine, au Compassion Roots Wellness Centre et au Emery Herbals, Gina travaille avec de nombreux enseignants tout en continuant de se perfectionner. Elle a décidé, par exemple, d’éviter certaines plantes autochtones sacrées et de se concentrer sur celles cultivables afin de ne plus recourir à la cueillette sauvage.
Gina Badger dans son jardin à Vancouver, où elle fait pousser des bettes à carde, de l’ail, des vivaces ornementales et quelques plantes médicinales, dont la majorité provient de son réseau de producteurs.
L’herboristerie énergétique utilise les plantes en infime quantité pour leurs propriétés émotionnelles et spirituelles. CI-DESSUS : Gina Badger ajoute de l’aubépine (Crataegus spp.) à l’une de ses formules pour augmenter la tolérance aux défis affectifs, le deuil en particulier, et donner un sentiment de protection.
Avec son amie, l’acupunctrice et herboriste Rebecca Cariati, Gina a créé Wet Coast Mutual Aid Kits : des produits de soin sans alcool et concoctés à partir d’herbes aromatiques qui poussent dans tous les jardins, comme le romarin, la sauge, l’origan et la lavande. L’idée de ces trousses bien-être était d’apporter un soutien aux personnes les plus vulnérables pendant la pandémie. Ce projet leur a permis de prendre encore plus conscience de leur peau blanche, de leur statut de colon et des responsabilités qui vont avec. « Cette prise de conscience n’est pas que cérébrale, note Rebecca. Chez Gina, elle se traduit par des actes, comme le choix de certaines plantes, leur cueillette, leur provenance. C’est enraciné en elle. »
Pour imaginer le changement et le mettre en oeuvre, Gina n’hésite pas à aborder ces sujets et à se positionner au sein de ces héritages du passé. Sa vision d’une société harmonieuse passe par la justice réparatrice et les réseaux de soins : « Mon fantasme est un modèle de traitement de la douleur et de l’injustice axé sur le renforcement du lien social et sur la guérison plutôt que la punition. » Pour ce faire, elle s’inspirerait de notre relation avec les plantes, à la fois généreuse, nourrissante et mutuelle : « Elles nous offrent leurs bienfaits à travers leur beauté et en nous demandant de ralentir, d’être présents avec elles et avec notre corps, chose encore plus importante dans notre monde actuel. »
Les inhalations humides possèdent de multiples vertus : elles éloignent le rhume, apaisent la gorge sèche ou décongestionnent en cas d’allergie saisonnière. Elles sont aussi relaxantes : à vous la pause zen! Cette méthode, sécuritaire et bon marché, utilise des plantes médicinales faciles à cultiver ou à acheter en épicerie, au rayon fruits et légumes ou tisane.
REMARQUE : Les inhalations sont généralement sans danger, quels que soient les médicaments prescrits et l’état de santé. Cela dit, il vaut mieux éviter les plantes trop fortes ou épicées qui pourraient irriter les tissus sensibles des voies respiratoires. Si vous souhaitez utiliser d’autres plantes que celles citées ci-dessus, demandez conseil à un herboriste. Chez certaines personnes, l’inhalation de vapeur peut causer des irritations et, dans de très rares cas, une crise d’asthme. Soyez à l’écoute de votre corps : si vous sentez une réaction anormale, arrêtez immédiatement.