Leanne Shapton
VEUILLEZ COMBLER L'ESPACE Leanne Shapton’s urban infill
By Mark Tramdak
Photos by: William Arcand
Kevin Calero, réalisateur de films et de vidéoclips, m’invite à découvrir sa « pièce zen ». On est chez Crew Collective dans le Vieux-Montréal, un café et espace de travail partagé, installé au rez-de-chaussée d’un immeuble néoclassique des années 1920. On quitte le plafond richement décoré et ses voûtes vertigineuses pour entrer dans une pièce à part : un royaume pour coussins et plantes vertes aux murs habillés de boiseries foncées. Ce moment définit parfaitement le travail de Kevin : un changement de rythme dans un décor spectaculaire.
Clips pour Miguel, Foxtrott et Coeur de Pirate ou pub pour la vodka Cîroc avec Diddy et DJ Khaled, ce créatif de 32 ans multiplie les contrastes, jouant avec des tons néons sur fond noir ou des plans grand angle de danseurs écrasés par des vagues gigantesques. Son esthétique est « rythmique et sculpturale », selon ses propres termes, elle est surtout immersive : « J’ai compris très tôt que les clips pouvaient être des échappatoires. On plonge dans une époque |le temps d’un instant. »
Enfant des années 1990, Kevin a grandi dans sa banlieue montréalaise de Blainville en rêvant devant MTV. « Je voulais que ma vie soit un épisode de Making the video. Il y avait tout : les répétitions de danse, l’animation du plateau, le storyboard, les obstacles. » Il n’a pas perdu de temps. « Tous les étés, je prenais ma petite soeur en otage, l’obligeant à faire des chorégraphies et des défilés de mode, lance-t-il en riant. Le métier de réalisateur est venu naturellement. »
Mais Kevin sera d’abord danseur. À 7 ans, il apprend le violon et regarde ses soeurs se déhancher façon Janet Jackson, imitant tous leurs gestes. C’est à 14 ans, lors d’une audition de sa soeur aînée, que se produit le déclic : il sera danseur hip-hop, et ce, pour dix longues années. Même s’il se tourne vers la vidéo en 2009, la danse reste au coeur de ses réalisations. « En danse, on apprend à disséquer tous les sons d’une chanson pour pouvoir y associer des mouvements. J’ai la même approche quand je tourne, explique-t-il. Je fais ensuite des ajustements rythmiques pour créer une cadence, dont a besoin toute information. »
« Voir le rêve de l’autre, se permettre de rêver et faire ensuite rêver les autres, il n’y a rien de mieux à mes yeux. »
Nora Rosenthal, critique de danse pour un magazine culturel montréalais, dit de lui qu’il « comprend que la danse n’est pas incarnée que par les danseurs, qu’elle existe aussi dans le montage. Le traitement de la danse est complètement différent pour une vidéo, en particulier pour un format non narratif dont l’élément moteur est la musique. On voit parfois des chorégraphies filmées, en réalité, pour la scène. Il y a alors un décalage surréaliste. Kevin Calero, lui, travaille de concert avec son média. »
Dans son dernier projet, le vidéoclip de Young Buck pour le groupe montréalais de pop synthétique Braids, les images couleur bonbon racontent l’histoire d’une attirance mutuelle entre la chanteuse Raphaelle Standell-Preston et un fan, venu passer une audition pour apparaître dans son clip. « La chanson a ce côté galopant du sentiment amoureux, donc on a un couple qui galope, littéralement, dans la chorégraphie. Mais le plus important est la manière dont on l’a traduit visuellement », explique le réalisateur. Ce choix est à l’image de son approche intuitive de la direction artistique. « Je voulais incarner la chanson. Je voulais qu’elle m’habite pour que je puisse la représenter sous différents angles : qu’est-ce que je ressens à son écoute? Comment y ajouter d’autres niveaux de lecture? Ces quatre minutes qu’on me confie sont précieuses, je veux les exploiter au maximum. »
Cette collaboration a été un grand moment de plaisir professionnel pour Raphaelle Standell-Preston. « Kevin est la personne la plus fascinante que j’ai jamais rencontrée, sans parler de son intelligence, affirme-t-elle. Pendant le tournage, il m’a fait me sentir plus forte et maître de mon talent. Il a décuplé mon potentiel. J’ignorais que j’en avais autant. Il a cet effet sur les gens. Dès le début, il avait une vue d’ensemble et savait exactement où il allait. J’ai rarement vécu ça : travailler avec quelqu’un si enthousiaste, si consciencieux et qui a une vision si claire des choses. »
Cette vision a permis à Kevin de bénéficier d’occasions exceptionnelles. L’une de ses plus belles expériences? 50 Years Proud pour la marque Coach, une vidéo en commémoration du 50e anniversaire des émeutes de Stonewall, style Soul Train, avec des légendes de la scène dansante new-yorkaise. « Les mots me manquent pour exprimer ce que j’ai ressenti en voyant une drag-queen de 69 ans expliquer Stonewall à un danseur de 18 ans. C’est inoubliable. » Un autre moment inoubliable? Filmer Naomi Campbell disant « Generation Gap, take one! » pour un hommage à la célèbre publicité des années 1990. « Je rêvais de faire une pub pour Gap. et c’est arrivé plus tôt que ce que je croyais! »
Quand on lui demande comment il voit l’avenir, Kevin répond qu’il réfléchit à la façon de faire durer sa créativité : « C’est une question de longévité et de plaisir. » Il a envie d’explorer de nouvelles pistes, moins intéressé par le genre que par sa motivation première qu’est la transmission d’émotions. « Voir le rêve de l’autre, se permettre de rêver et faire ensuite rêver les autres, il n’y a rien de mieux à mes yeux. »