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Guide 1KM Cocktails glacés et autres plaisirs d’hiver à Edmonton.
By Sarah Liss
Photos by: Jalani Morgan
Mi-2021, aux prises avec la troisième vague de Covid et les sentiments de claustrophobie et de monotonie qui l’accompagnent, Umbereen Inayet décide de fuir Toronto, direction Banff. Pour bon nombre d’entre nous, une escapade en montagne est synonyme d’apaisement, pour Umbereen, ça a été une révélation. « Dès que j’ai vu ces montagnes, je me suis sentie toute petite. Cela m’a rappelé qu’il y a plein d’endroits à découvrir, plein de choses à faire, plein de montagnes à gravir. Je ne suis qu’un grain de poussière dans cette vie, explique-t-elle. J’ai l’impression que ce voyage a nourri mon âme comme rarement auparavant. J’étais beaucoup en mode résolution de problème, je me ressourçais avec la culture, me demandais comment faire de la place à la peine. Cette fois, il était question de faire place à la joie. »
Cela ne veut pas dire qu’Umbereen n’a pas trouvé un certain bonheur dans sa recherche créative. Depuis 2008, la productrice artistique de Nuit blanche se sert de l’art public pour transformer le paysage urbain. Cette visionnaire interdisciplinaire jongle à merveille avec les festivals, le théâtre indépendant et les médias numériques. Elle intervient dans des conférences sur le changement par l’innovation. Elle organise des représentations tentaculaires dans les parcs et sur les places publiques. Elle collabore avec des créateurs de renom pour faire entendre les voix à contre-courant. Mais son travail n’est pas une simple évasion, note-t-elle.
Cette même philosophie est au cœur de New Monuments, une production éblouissante en collaboration avec le réalisateur canadien de renommée internationale Director X, alias Julien Christian Lutz. Cette œuvre, selon Umbereen, révèle l’héritage du colonialisme et les dommages collatéraux d’une nation qui s’est construite en tissant des fils fragiles, souvent oubliés dans l’histoire du Canada, ou Île de la Tortue. Pour mettre en lumière les corps de couleur qui ont construit, littéralement parlant, ce pays, ou ont été sacrifiés au cours de sa construction, New Monuments se sert du mouvement, et plus particulièrement de celui des corps d’une trentaine de danseuses et danseurs, provenant d’une multitude de groupes torontois.
C’est dans la plus longue rue canadienne, Yonge Street à Toronto, à l’été 2021 qu’aurait dû avoir lieu cette représentation qui se voulait interactive. Covid oblige, elle a été reportée. Entretemps, des statues ont été déboulonnées aux quatre coins du monde : ces figures historiques vacillantes incarnent la métaphore centrale d’Umbereen et de Director X, qui consiste à renverser le récit dominant. Après de nombreuses discussions sur les traités et les terres volées, les producteurs et leur équipe ont donné un sens nouveau à la notion de territoire et l’ont intégrée à leur représentation. En octobre 2021, c’est sur les rives du lac Ontario, dans le parc torontois Marie Curtis à Etobicoke, qu’ils ont réuni leurs danseurs dans une chorégraphie signée Tanisha Scott, mêlant hip-hop, ballet, claquettes et danse du cerceau, une danse narrative autochtone.
Umbereen aborde tous ses projets en combinant empathie, perspicacité et ambition, en s’appuyant tant sur sa formation
(elle est spécialisée en anthropologie et condition féminine et a une maîtrise en travail social) que sur ses expériences personnelles et professionnelles : fille d’immigrants, elle s’identifie comme femme racisée; travailleuse sociale, elle passe du temps auprès de personnes vivant de profonds traumatismes. Pour Awakenings, présentée en 2021 au collectif muséal Toronto History Museums, elle a mobilisé des artistes ANDC qui, au travers de la musique et du court-métrage, ont mis en lumière des histoires vitales qu’on tait alors que les récits dominants, eux, s’enchâssent dans le discours institutionnel.
« Il est important pour moi de changer le regard,» explique-t-elle.
J’ai passé six mois à chercher des vérités cachées, les choses dont on ne parle pas : les corsets que les femmes étaient obligées de porter, les personnes queers qui n’avaient pas droit à l’amour. Je crois qu’il est de notre responsabilité de déterrer ces histoires, de les raconter au public et de façon créative dans les musées. »
Pour Umbereen, « le mouvement représente la liberté » et sa liberté s’apparente également à un sentiment de maîtrise : ne pas se contenter d’exister, mais être une force dominante dans l’art contemporain, un monde qu’elle a trouvé profondément aliénant à ses débuts. Enfant, elle n’allait pas au musée : « Je croyais que l’art était réservé aux riches blancs. Mon père prenait des photos, mes parents chantaient avec d’autres personnes, mais c’étaient des activités qu’on pratiquait à la maison, après une journée à l’usine. » Malgré cela, elle a toujours su au fond d’elle que l’art avait du pouvoir en tant qu’outil thérapeutique et force collective. Son arrière-grand-père, le poète Hafeez Jalandhari, est l’auteur de l’hymne national pakistanais. « Quand j’y réfléchis, je sais qu’il existe quelque chose de plus grand que moi, qui relie un pays, qui unifie les gens. »
« C’est ma façon d’appréhender l’art public : comment peut-il servir? Comment peut-il faire place à l’émotion? Comment peut-il rassembler des gens venant d’horizons différents? »