Arrêt sur image
Faites place à l'art José Bautista, une murale torontoise signée Sum Artist
Par: Kristina Ljubanovic
PHOTOS OFFERTES PAR SAFOURA ZAHEDI
Il suffit qu’elle ferme les yeux et pense à son enfance pour que Safoura Zahedi voie défiler arabesques, fractales et autres formes géométriques.
Le produit d’un esprit observateur? Oui, et d’une mère artiste et graphiste. « Je me souviens qu’elle avait ce carnet, rempli de motifs différents rassemblés au fil des ans, explique celle qui combine aujourd’hui les métiers d’architecte et d’artiste. À l’université, chaque fois que j’étais en panne d’idée, ou que j’avais envie d’une séance de méditation créative, je le feuilletais et laissais mon regard s’y perdre. »
Les parents de Safoura Zahedi sont originaires d’Ispahan en Iran, ancienne capitale de la Perse sous la dynastie safavide et berceau de culture et d’innovation. Elle, elle est née au Japon, pays également connu, c’est le moins qu’on puisse dire, pour son architecture.
La géométrie était donc une voie toute tracée, un droit de naissance.
« Pour moi, ce n’est pas de la nostalgie, c’est plutôt de la sagesse que j’en retire », explique-t-elle. Dans sa thèse, elle comparait (et critiquait) l’architecture islamique contemporaine au contexte historique, qui a vu « des manifestations spatiales très sophistiquées de la géométrie », qui coïncidaient pour la plupart avec les innovations mathématiques et scientifiques de l’âge d’or, du VIIIe au XVIe siècle.
« Il y a beaucoup à apprendre de la culture matérielle, qui peut influencer l’artisanat et l’architecture d’aujourd’hui avec l’aide de la fabrication numérique et de la conception par ordinateur », poursuit-elle.
En 2022, elle prend une année sabbatique : 365 jours d’étude de terrain, « un long voyage exploratoire » à travers les principales dynasties islamiques qui la conduit dans 17 pays et plus de 40 villes. Elle y rencontre des artisans (qu’elle met en relation), observe les répétitions de styles et de techniques d’une région à l’autre, ou leurs déclinaisons, et note toute géométrie complexe intégrée dans l’espace public pour le plaisir de tous.
Pour elle, les motifs en 3D ne sont pas de simples décorations, ce qui, conformément à la culture architecturale occidentale, les rendrait superflus, ou pire, élitistes. Elle les considère au contraire comme des indispensables, qui facilitent la contemplation, la méditation et la spiritualité. « Les lieux géométriquement complexes ont des bienfaits psychologiques et physiques », tout à fait pertinents dans le contexte urbain actuel. Quand ils sont intégrés au bâti, les figures fractales et les motifs qui se répètent, telles les vagues ou les branches d’un arbre, « produisent les mêmes effets que si on regardait la nature ».
À son retour, Safoura Zahedi met son nouveau savoir en pratique en imaginant une « installation fractalisée », qui est exposée au Salon du design de Toronto, puis aux festivals DesignTO et Glisten. Sa sculpture pyramidale se compose d’une série de formes en acier découpées au laser, reliées entre elles par des nœuds imprimés en 3D, le tout pliable et réutilisable. L’autre plus? La finition effet miroir qui donne une impression d’infini.
« La géométrie est aussi un langage visuel qui propose une réflexion sur les liens qui nous unissent, confie-t-elle, révélant le spirituel dans le mathématique. La multiplicité au sein de l’unité, l’unité au sein de la multiplicité; chaque élément dépend du tout et le tout dépend de chacun. »
Recherches, voyages, formation (elle enseigne à l’Université métropolitaine de Toronto et prépare un cours en ligne sur la géométrie islamique pour la King’s Foundation School of Traditional Arts de Londres), l’ensemble du travail de Safoura Zahedi consiste à établir des relations entre son appartenance ethnique, sa spiritualité et sa profession.
« Ma mission, en tant qu’architecte, est de réunir ces différentes parties de moi et de me rapprocher de mon héritage culturel. C’est moi, qui me mets en avant, en tant que personne à part entière. »