
Combinaison gagnante
Le Plan D’Action Un bureau montréalais habillé d’icônes du design moderne.
PAR SAVANNAH STEWART
ILLUSTRATION PAR JASON LOGAN
J’ai décollé de Montréal au moment même où je sentais mon esprit communautaire me quitter.
Après deux ans de pandémie et une séparation douloureuse, mon quartier de Pointe-Saint-Charles était devenu indifférent, un peu comme un amoureux qui ne fait plus d’effort.
Parlons de l’incident de la vélorue, aménagée rue Island. Apparemment inoffensive avec d’un côté ses tables à pique-nique et de l’autre son jardin collectif, elle était censée réduire la circulation automobile tout en offrant aux citoyens un espace de rencontre. Résultat? Insultes, vandalisme et intimidation. Je me souviens des pancartes accrochées aux fenêtres. «NON À LA VÉLORUE », pouvait-on y lire, comme des dizaines de regards furieux lancés à quiconque voulant profiter du lieu. Heureusement, la plupart ont disparu.
C’est là que j’ai perdu confiance en ma définition de la collectivité, à savoir une coopération enthousiaste et une résolution pacifique des conflits. J’ai contourné la rue Island pour ne pas être vue en train d’apprécier ce lieu de controverse. Quand on doit cacher ses sentiments pour éviter les désaccords, la vie en collectivité n’existe plus vraiment.
Puis, je suis partie. Sept mois en Guadeloupe, un archipel des Caraïbes, et sept mois en Corse, une île en Méditerranée.
À première vue, dans les montagnes corses, tout le monde semble assez d’accord sur la manière de s’habiller et les valeurs à défendre, dont l’évolution de la région toujours sous la coupe du gouvernement français. Une vision simpliste, bien entendu. Le désaccord est partout : entre les souverainistes et les autonomistes, les ruraux et les urbains, les jeunes et les anciens.
En roulant le long d’une route sinueuse, une nouvelle connaissance me raconte le dernier drame survenu dans son village. Deux factions s’affrontaient, divisées par un projet de prolongement routier, et ce n’était pas beau à voir. Au sortir d’un virage, elle pointe du doigt la route en question. J’ai pouffé à la vue de la banderole accrochée à la clôture : « NON À L’EXTENSION ».
Ce qui m’a frappée chez les Corses, une communauté réputée tricotée serrée, c’est que, malgré les multiples désaccords, la force des liens ne faiblit jamais. Ce qui les unit est plus puissant que n’importe quelle divergence d’opinions, et les pousse à trouver des compromis, même en cas de situation tendue.
J’y ai vu une leçon, qui a su adoucir mon cœur endurci. Peut-être que j’en attendais trop, que je me faisais une idée exagérée de la collectivité.
À mon retour à Montréal, j’ai porté un autre regard sur la ville et ce joli petit coin que j’appelle mon chez-moi. Il n’avait pas changé; moi, si.