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La maison du ballroom

Née dans les années 1970 à New York au sein de la communauté queer noire et latine, la culture ballroom [salle de bal en français] est une sous-culture qui offre un espace sécuritaire et une voix à tous ceux et celles réduit·es au silence. Cinquante ans plus tard, le monde s’ouvre, permettant à cette forme d’art souterraine d’émerger au grand jour. On parle de cette évolution et de ses conséquences avec Nikolaos (Nikk) Théberge-Dritsas et Tamar Carter, qui ont cofondé la plateforme de ballroom canadienne Function.

PAR NIKOLAOS THÉBERGE-DRITSAS ET TAMAR CARTER
PROPOS RECUEILLIS PAR JEREMY PAUL
PHOTOS OFFERTES PAR FUNCTION

La maison du ballroom - FeatureImage_a-group-of-people-performing-expressive-art-form

Nikk Théberge-Dritsas : Dis-moi, T. [Tamar], depuis le premier bal de la Journée mondiale de lutte contre le sida en 2021, quand on a commencé à rêver de Function, on a travaillé fort pour le ballroom et son épanouissement. Où penses-tu qu’on en est aujourd’hui?

Tamar Carter : Je vois différentes scènes qui se développent à Vancouver, Calgary, Edmonton ou Ottawa, et toutes prennent Function comme point de repère. C’est flatteur parce que ça correspond à notre mission. Function est une réponse aux besoins de la communauté.

T. C. : Ils et elles veulent « marcher »* dans un bal Function et l’amènent de la même manière que toi ou moi le dirions à nos enfants, en tant que parents de la « maison »**. Pour la première fois depuis très longtemps, je suis optimiste quant à l’avenir du ballroom.

N. T-D. : C’est trop drôle, j’allais dire exactement pareil. Toi et moi sommes de deux générations différentes, et au début, même à moi, le ballroom me paraissait à l’écart du monde, clandestin. Il avait besoin d’un catalyseur pour se développer et donner envie aux gens de s’y engager et de le prendre au sérieux.

« Je ne distribue pas d’accolades pour me faire du bien, mais pour rendre la pareille. C’est un travail d’amour. »

T. C. : Tout à fait! Et maintenant qu’il s’affiche en public, grâce à Renaissance de Beyoncé et à des émissions télé comme Pose, on entend des critiques comme quoi il serait en train de s’abâtardir. Toi, qui as eu des réactions négatives en tant qu’homme blanc et figure de proue de la communauté, quel est ton sentiment?

N. T-D. : Je me suis toujours impliqué parce que ça me plaît et que j’y crois. Le fait que je doive prouver que j’en suis digne est essentiel, et c’est vrai pour toute personne qui n’est pas noire, ni trans ni queer.

T. C. : Penses-tu que la perte de ce côté souterrain de la culture ballroom fait de nous des vendus ou, au contraire, que cela nous
ouvre des portes?

N. T-D. : Je crois que toi et moi, on fait bien en veillant à ce que les fonds qu’on accepte ne soient pas assortis de conditions. Ou que, s’il y a des conditions, elles n’aillent pas à l’encontre du ballroom. J’ai des scrupules quand je vois des personnalités qui veulent utiliser le ballroom sans mettre en valeur les gens, particulièrement quand elles ont toutes les ressources du monde.

T. C. : Exactement. Et même dans le milieu du ballroom, c’est décevant de voir des personnes assister à nos bals tout en nous pointant du doigt comme « faisant partie du problème ». Mais la culture passe avant tout, donc on comprend combien c’est important pour elles d’être là, chez elles. Même si ça laisse un goût amer.

N. T-D. : Au bout du compte, on doit s’assurer que le ballroom est accessible à tous et à toutes. À ce propos, je suis curieux d’avoir ton avis sur ces petits marchés canadiens qui développent leur scène ballroom sans la présence de la communauté queer noire, qui est à la base de cette culture.

T. C. : C’est une expérience intéressante. Quand on y va, on voit et on comprend à quel point le ballroom est nécessaire à tout écosystème, à tout milieu queer. Je suis reconnaissante à ces personnes qui n’appartiennent pas à des minorités visibles d’organiser des bals parce qu’elles offrent aux jeunes queers, à la peau noire ou brune, un lieu d’appartenance et d’épanouissement. Sans le ballroom, je ne serai pas là où je suis aujourd’hui. Il n’y a pas que la culture noire qui m’a nourrie. Notre activité est certes menée par des noirs, mais elle est inclusive. Son but est bien sûr de mettre en lumière les voix noires, mais on ne peut le faire que si elles sont présentes. Si elles ne sont pas là, il faut bien qu’elles aient une scène qui les accueille.

N. T-D. : C’est tellement vrai, ma sœur. Bon, assez parlé du développement du ballroom. Ce que je voudrais savoir maintenant, c’est ce qui te retient dans la communauté. Après dix ans de ballroom, tu n’as pas envie d’aller voir ailleurs?

T. C. : J’ai essayé plusieurs fois. Mais, pour être franche, je n’ai jamais été aussi sûre d’une chose que du ballroom. C’est comme si j’avais un doctorat en ballroom. Je me sens légitime. Dans les moments difficiles, je me remémore tout ce que j’ai accompli. Je ne distribue pas d’accolades pour me faire du bien, mais pour rendre la pareille. C’est un travail d’amour. J’aime la communauté et les personnes qui la composent. J’aime même celles qui me détestent. Et toi, Nikk, qu’est-ce qui te retient ici?

N. T-D. : Organiser des bals, à mon niveau, est pour moi super motivant. Cela m’a aussi beaucoup apporté, m’a permis de me trouver un but, de me découvrir et m’a fourni un exutoire créatif pour explorer mon identité, chose que je n’aurais pu faire vu le milieu d’où je viens. Je crois que cette émancipation qu’offre le ballroom est importante, c’est vraiment un bel espace. J’ai souvent l’impression que la nouvelle génération a tout ce qu’il faut pour réussir. Et elle l’a. C’est juste qu’on ne lui en a jamais donné la chance. Et c’est un peu mon devoir que de le faire. J’ai hâte pour elle et hâte de voir le fruit de son travail!

T. C. : Oh, il faut qu’elle nous montre ça en décembre, au bal de la Journée mondiale de lutte contre le sida.

N. T-D. : Elle le fera, tu peux en être sûre!

La maison du ballroom - 2_vibrant_stage_performance_with_dancer

NDLR ::

*Les participant·es au bal « marchent », à savoir se mesurent les un·es aux autres, dans différentes catégories (danse, chant, etc.), incarnant et parodiant à la fois les constructions de genres.

**Les « maisons » sont des familles parallèles qui servent de refuge aux membres 2SLGBTQIA+. Elles portent souvent des noms de marques de mode et ont à leur tête des « pères » et des « mères » expérimenté·es.

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