Arrêt sur image
Faites place à l'art José Bautista, une murale torontoise signée Sum Artist
Par XIMENA GONZÁLEZ
Photos par: ALANA PATERSON
Un portfolio aussi vaste qu’éclectique dissimule le fil conducteur du travail de Germaine Koh : établir des parallèles là où d’autres voient des divergences.
« Je me suis dirigée vers l’art au départ, car je ne me sentais pas prête à me spécialiser dans un seul sujet », explique l’organisatrice et artiste visuelle basée à Vancouver.
Dans Still Flowing, une de ses œuvres d’art public, une série de fanions en aluminium, accrochés en haut d’un ensemble de 17 mâts, oscillent au rythme du vent, tel un banc de poissons dans le ruisseau voisin de Still Creek à Burnaby, en Colombie-Britannique.
Après 35 ans de pratique et un prix du Gouverneur Général en arts visuels et médiatiques, Germaine Koh est une généraliste convaincue, toujours désireuse d’explorer de nouveaux domaines.
En 2018, elle réimaginait le banc d’un arrêt de bus vancouvérois sous forme de balançoire à bascule, rappelant aux usagers du transport collectif l’importance de la collaboration. Elle a aussi installé, dans quelques musées, un système de poteaux chromés reliés entre eux par des cordes de velours qui, grâce à des capteurs, montent et descendent au gré des flots du plan d’eau le plus proche. « Cette installation nous relie au monde extérieur quand nos immeubles s’évertuent à nous en couper », lance-t-elle.
En extrapolant l’ubiquité du familier, Germaine Koh attire l’attention sur nos liens avec l’environnement et avec les autres. Elle le fait de manière subtile et le plus souvent ludique. « Ma philosophie de base est de tenter de montrer que des phénomènes, ou des domaines, qui ne semblent pas liés ont, en fait, des similitudes.
Par mon travail, j’essaie de créer des situations dans lesquelles on prend conscience qu’on n’est peut-être pas si déconnectés les uns des autres qu’on le croit parfois. »
Et parfois, ce sont les liens faits par le public qui prennent l’artiste par surprise.
Dans Overflow, elle a soigneusement aligné des centaines de bouteilles en verre consignées pour figurer l’économie invisible de la rue East Hastings de Vancouver. Mais le public est allé plus loin : « Le quartier en a fait un mémorial officieux pour les victimes de la toxicomanie du Downtown Eastside. Parce que ces bouteilles sont
une sorte d’élégie, chacune représentant une personne. »
Pour donner vie à ses idées, cette touche-à-tout s’appuie sur le savoir-faire partagé : « Apprendre de nouvelles choses me satisfait pleinement, c’est la raison pour laquelle je navigue entre plusieurs domaines. »
En 2014, elle développait une application pour téléphone permettant de localiser les ressources alimentaires méconnues de Marpole, un des plus vieux quartiers de Vancouver. Passé et présent se superposent sous forme de cartes interactives, indiquant tant les anciens lieux de chasse et de cueillette essentiels aux Premières Nations que les plantes comestibles et les soupes populaires actuelles.
Pour WARES, une installation datant de 2023 qu’elle qualifie de collection quasi-mode, elle apprend à fabriquer du tissu avec des artisans tisserands. Puis, elle enfile bottes et casque de chantier pour bâtir une communauté d’artistes sur l’île Saltspring, où elle possède un terrain. Son esprit d’entreprise est une évidence : « Je me pose en promotrice immobilière, mais je me concentre en réalité sur de petits bâtiments, construits de mes mains. »
Entreprise sociale de construction de micromaisons et d’ateliers pour artistes, Home Made Home est devenue l’activité première de Germaine Koh, qui a vu trop de collègues déplacés par l’insatiable redéveloppement de Vancouver.
C’est au début des années 2000 et sous forme de toiles d’araignées géantes que l’idée germe dans sa tête. Lancé officiellement en 2014, ce projet « est un beau prétexte pour défendre d’autres modèles de logement », affirme-t-elle.
Au fil de ses recherches sur l’habitat local, elle découvre qu’une maison peut être construite par ses futurs occupants avec la configuration de leur choix.
« Il y a 100 ans, les maisons n’étaient pas construites par des professionnels, mais par les familles qui allaient y vivre. »
« Apprendre de nouvelles choses me satisfait pleinement, c’est la raison pour laquelle je navigue entre plusieurs domaines. »
Home Made Home est la preuve que des structures modestes peuvent se transformer en pièces à habiter, et même en communauté. Germaine Koh le démontre en variant les matières, les silhouettes et les lieux.
Elle se sert de matériaux de récupération pour construire un kiosque mobile, puis de vieux tissus pour dresser une tente au centre culturel SAIB de Mississauga. Elle métamorphose une cabine téléphonique en un espace multifonction intemporel. Elle réussit même à nicher une maison au-dessus du porche d’un musée et une autre à l’intérieur d’un mur : deux installations parasites, comme elle les appelle.
« Dans notre monde, il y a beaucoup plus de place qu’on veut bien l’admettre pour différentes formes d’habitation, conclut-elle. C’est juste une question de volonté politique. »